Jaume Cabré - Confiteor



Il y a dans cette rentrée un livre qui est pour moi beaucoup plus qu'un livre.
Il y a dans la vie des auteurs et des romans qui sont comme des rencontres considérables...
une œuvre  qui devient vitale.
Il y a des livres et leurs auteur avec lesquels se forme un lien privilégié. Plus que cela, une sorte d'amitié particulière. 
Il y a des livres qui vous absorbent entièrement... dans lesquels on se retrouve comme chez soi. 
Un livre comme un lien ineffable, une transcendance. 
Les livres de l'écrivain catalan Jaume Cabré sont de ceux là.
Confiteor, le dernier paru en français est pour moi ce genre de chef d’œuvre. 

Maintenant, comment commencer ?
Le roman ne peut pas être résumé en quelques lignes, son principe est d'agencer comme un puzzle les éléments qui composent une vie : celle d'Adrià Ardèvol un espagnol érudit, professeur d'histoire de la culture à Barcelone, un homme de la deuxième moitié du XXè siècle en Espagne.
La confession évoquée par le titre, celle à laquelle on est convié est donc celle d'un homme et de tout ce qui fait la complexité de sa vie de l'enfance à l'age mûr. 
Un homme qui choisit de tout dire, de ne plus rien cacher. 
Tel est l'objet du roman.
La matière même du roman est la combinaison de ce flux de mémoire qu'Adrià semble vouloir mettre en forme pour son destinataire (oui Confiteor est en réalité une lettre) mélangé à la matière du monde. Au cœur de tout cela, il y a un violon. Un violon signé Storioni fabriqué en 1764, et Confiteor raconte la geste de l'ensemble de ses propriétaires. C'est un destin marqué par la mort et la trahison.
Cabré par les liens qu'il tisse entre des histoires différentes compose un grand livre sur la question du mal, et du mal dans la vie esthétique ;  un roman profond qui puise dans les grandes questions morales, éthiques, donc humaines. 

Le roman semble obéir à ces quelques phrases de Bruno Schulz (1)
" Les faits ordinaires sont alignés dans le temps, enfilés sur son cours comme des perles. Ils ont leurs antécédents et leurs conséquences, qui se poussent en foule, se talonnent sans cesse et sans intervalles.
Mais que faire des événements qui n'ont pas de place définie dans le temps, des événement arrivés trop tard, au moment où le temps avait déjà été attribué, partagé, pris, et qui restent sur le carreau, non rangés, suspendus en l'air, sans abri, égarés ?
Le temps serait-il trop exigu pour contenir tout ce qui se passe ? Peut-il arriver que toutes les places du temps soient prises ?"
On sait que le temps peut contenir bien plus que tous les moments de l'Histoire.
Il y a tous ces éléments du temps qui ne trouvent pas leur place qui errent dans les méandres de la mémoire, ce sont ceux qui font la matière première de Confiteor : les afflux de mémoire, l'entremêlement des histoires.
Ce qui frappe le plus, et cela d'entrée de jeu, c'est la plasticité formelle qui habite le roman. L'invention formelle fourmille sans jamais faiblir et - prodige - sans jamais éblouir le lecteur tel un lapin devant les phares d'une voiture la nuit... Non point. C'est précisément parce qu'on est tout le temps sur le point de se perdre qu'on sait exactement ou on en est dans l'entrelacs des histoires qui se déroulent. Cabré sait que son jeu est dangereux mais il  a tellement de respect pour le lecteur et tellement le sens de la narration (on ne perd jamais de vue les grandes lignes du roman) que les audaces les plus folles passent comme une lettre à la poste. Pis que cela, on en redemande !
Ce roman est un tourbillon 

Confiteor est ce que Vincent Message appelle dans son essai Romanciers pluralistes (2)  un roman hétérogène.
Un roman qui met en composition la dualité disparate/unicité :
Disparate ou hétérogène par l'accumulation des histoires, l'entrelacement de récits, les changements de point de vue ou de narrateurs, les trouvailles formelles en tout genre...
Et principe d'unicité parce que le roman est une seule et même lettre. Celle d'un homme qui se raconte comme le dit Chateaubriand un pied déjà dans la tombe en regardant le soir de sa vie.

Confiteor est un lien, un trait d'union entre la littérature hispanique qui semble depuis toujours être cantonnée à une littérature péninsulaire et la grande littérature européenne. Cabré réinvestit les grands thèmes de la littérature et donne à la Catalogne un immense roman européen.
Il y aurait encore beaucoup à dire, beaucoup de thèmes à aborder de points sur lesquels disserter.
Mon adresse mail est en haut à gauche de la page, et je serai ravi de prolonger ma lecture avec d'autres...


(1) Bruno Schulz, Le sanatorium au croque-mort, Imaginaire Gallimard, p 25.
(2) Vincent Message, Les romanciers pluralistes, Seuil 2013 coll. le don des langues.

Commentaires

  1. Votre article est très intéressant, ce livre est vraiment magistral ! Par contre :
    "la littérature hispanique qui semble depuis toujours être cantonnée à une littérature péninsulaire et la grande littérature européenne." Sans me lancer dans un plaidoyer et citer tous les chefs-d'oeuvre de la litté hispanique qui font partie intégrante de la grande littérature européenne (au 1er rang desquels Don Quichotte, fondateur du roman moderne), je trouve sévère de distinguer littérature hispanique et grande littérature européenne... Ou bien ai-je mal compris votre phrase...


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